Le texte suivant est l'oeuvre de M. Georges Timmermans, membre de la Société Belge d'Etudes Celtiques, qui nous en a proposé la mise en ligne. Il constitue une synthèse personnelle des questions soulevées par la présence des celtes en Belgique et des développements plus récents liés aux recherches scientifiques.

 

L’interdisciplinarité entre l’archéologie, les sciences de la nature et diverses autres techniques, permettent actuellement une meilleure lecture du matériel des fouilles effectuées en Belgique. Le paysage reconstitué permet de préciser les régions où l’élevage, la culture des céréales, ou l’exploitation forestière étaient dominants. Nous sommes bien loin d’une Belgique couverte essentiellement d’une forêt impénétrable et de terres marécageuses.


    L’histoire de la Belgique remonte au moins à l’époque de La Tène, quand tribus celtiques et germaines se côtoyaient déjà, se mêlant (pas toujours pacifiquement) à des Celtes « germanisés » et à des Germains « celtisés ». Beaucoup d’anciens manuels scolaires l’ont paraphrasé, il n’existait ni ville, ni village, seulement des huttes isolées, bâties sur des monticules et reliées entre elles par d’étroits sentiers. Ces habitants cultivaient le seigle, l’orge ou l’avoine et se nourrissaient habituellement de pain et  de laitage. Ils passaient beaucoup de temps à la chasse, à la pêche, et dans les exercices militaires. Les Belges aimaient la liberté, ils étaient braves, généreux, hospitaliers, mais aussi querelleurs, et passionnés par le jeu et la boisson. 
 

La "question" celte

    Le misérabilisme de beaucoup d’historiens du XIX siècle a renforcé l’image rustique du « barbare », vivant près de la nature, avec comme seule contre partie un mode de vie plus « moral », loin de la décadence du conquérant romain. Les erreurs celtomanes ou « germanomanes » s’expliquent aussi, comme nous allons le voir, dans des dérives idéologiques modernes manipulant la réalité historique pour glorifier Romains et Germains aux dépens des Gaulois. A qui profite le crime ?

    Il profite tout d’abord à l’Eglise catholique et romaine car elle s’est toujours voulue l’héritière de la Rome antique. Le Pape  étant devenu, à la fin de l’Empire romain, le jumeau spirituel de l’empereur.

    Il profite à l’Etat laïc ensuite, car il retrouve dans la romanisation de la société celtique et la grandeur de l’administration romaine, le modèle, les vertus et la justification de son propre pouvoir centralisateur.

    Il profite enfin à des idéologies racistes glorifiant les Germains comme les plus purs représentant des aryens blonds aux yeux bleus et les opposants aux Celtes de Gaule, vus comme amollis et métissés. En 1860, un Professeur de l’Université de Gand, membre de l’Académie royale de Belgique, du nom de Moke considérait qu’il n’y avait en Belgique qu’une race, blanche, pure et dominante, dont les Germains seraient les meilleurs représentants du fait qu’ils sont  (toujours selon cet auteur) doués d’un ordre social et d’une religion proche du monothéisme Toujours selon lui, les Germains possédaient la « première base de la constitution de l’Europe germanique »  qui était l’élection du « chef » par le peuple. Moke considérait que les Germains « conservaient l’ensemble des grands principes de vertus qui avaient fait pour les peuples purs la base religieuse de la vie humaine, le flambeau civilisateur était bien dans les mains du peuple blond par excellence. » Et, pour Moke, l’ajout de dieux tels que Wotan, Thor ou Donar serait une altération de leur religion primitive. Pourtant, on savait déjà à cette époque que l’organisation sociale et les croyances des Celtes de Germanie ne différaient pas beaucoup de celles des Celtes de Gaule.

    Malgré leur absence de base historique, les idées de Moke allaient malheureusement faire leur chemin. Continuons à en démonter le mécanisme pervers. Ch.Vercamer, ancien préfet des études et professeur de rhétorique, auteur du « Catéchisme de morale universelle (Paris 1867) et de « l’Histoire » (depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1880) du Peuple Belge et de ses institutions racontées à la jeunesse(1880) relance l’idée de la barbarie des Germains, mais en la magnifiant et en l’excusant par la jeunesse de ce peuple. Le barbare est donc un grand enfant, exubérant, destructeur peut-être mais qui pèche uniquement par ignorance, ce qui explique que, lorsque les missionnaires viendront l’évangéliser, il sera prêt à se convertir au christianisme.  Les martyrs païens de Werden, ces Saxons qui préfèrent la mort au baptême de Charlemagne en sont un contre exemple flagrant. 

    Cette idée d’enfance liée au Barbare sous-entend que d’autres peuples (comme les Romains) sont entrés en décadence du fait de leur trop grande durée. « Il en est d’un peuple comme d’un simple particulier tous deux ont leur enfance, leur jeunesse, leur âge mûr et leur vieillesse. » D’où la conclusion que l’arrivée providentielle du barbare va pouvoir « régénérer »l’Empire romain. Qui était près de passer par toutes les phases d’une vieillesse décrépite, pour disparaître ensuite.


Pour Vercarner, les Belges sont des Celtes, mais régénérés par l’arrivée de plusieurs vagues d’émigrants germains (toujours cette obsession de la supériorité de la « race » germanique vis à vis de la « race » celtique ), et il en déduit que les Germains (c’est-à-dire les Belges redevenus majoritairement Germains.) ont été choisis par la « divine  Providence » pour régénérer les peuples arrivés en stade final comme Rome. Idée osée sous-entendant que le Saint Empire romain germanique serait la continuation de l’Empire romain, l’évolution étant achevée lorsque l’empereur unirait en une seule personne César et le Pape.


« Le Germain, ce barbare rustique, qui préférait l’air libre de la campagne, qui s’établissait sur les bords d’un ruisseau ou dans tout autre site pittoresque, pour y vivre des produits de la chasse, de la pêche et de quelques travaux agricoles…sortis de leurs forêts vierges, formés à l’air pur des champs, loin de l’atmosphère infecte des grandes villes, ils excitèrent l’admiration, tout à la fois, par leur audace  belliqueuse qu’exprimait le feu de leurs regards, et par leurs vertus…Voilà pourquoi ils furent choisis par la Providence, non seulement pour détruire un empire exécré, mais pour infuser un sang jeune et nouveau aux peuples que Rome avait corrompus, et pour sauver ainsi la civilisation, qui a donné naissance aux nations fortes et viriles des temps modernes. » (Ch.Vercarner).

    Cette approche germanophile qui cherche à « germaniser » une partie de la Belgique (mais aussi de la France avec l’Alsace Lorraine), correspond à l’expression d’un courant de pensée nationaliste allié à l’obsession morbide de la pureté de la race qui s’exprimera malheureusement à travers différentes guerres (1870,1914,1940).

    Et, à côté des « germanophiles », on trouve symétriquement des celtomanes dont le délire interprétatif est tout aussi condamnable. Ainsi peu après la première guerre mondiale, Nève, licencié en sciences morales et historiques, publie « Deux mille ans de l’Histoire des Belges » (1924). Il montre que l’industrie et les relations commerciales étaient prospères avant la conquête romaine, l’abondance du monnayage d’or chez les Nerviens, les Trévires, les Morins…fournit en effet la preuve de l’intensité de la circulation monétaire et de l’extension des relations économiques des tribus belges. Les pauvres Belges qui ne cultivaient que quelques pauvres lopins de seigle et d’avoine ne sont plus des barbares avinés, tuant le temps et leurs semblables dans d’interminables banquets. Ces Belges-ci, sont magnifiés par rapport aux populations néolithiques auxquelles ils ont succédé. Ce sont de grands civilisateurs, joignant l’exploitation des richesses d’un sol fertile à une meilleure rentabilité. 

    Physiquement le pays a subi la même transformation, la même idéalisation : les forêts entrecoupées de marécages sont décrites cette fois comme une vaste région couverte d’un océan de verdure donnant à la Belgique un visage doux et majestueux, mêlant jolies rivières, fleuves indolents et opulente végétation forestière. Nève, oublie fort partialement les apports germaniques à la construction de la Belgique. Du « tout germanique » de Moke et Vercarner, on est passé au « tout celtique ». Pour Nève, les Belges sont les plus Celtes des Celtes et il fait appel à des historiens allemands comme Zeuss pour conforter ses théories. Zeuss : « Les Belges dans toute leur extension au temps de César, ne sont plus des Germains, les faire descendre d’une souche germanique est une fable. »

    En 1936, une Histoire de Belgique , reprend les mêmes clichés sur des guerriers grands et blonds, braves et courageux, l’inévitable banquet, sans oublier les Druides cueilleurs de gui….Ce manuel, malgré ses insuffisances sera réédité et utilisé jusque vers 1950.

    Tous ces livres s’adressaient au plus grand nombre  et servaient de références aux enseignants, ces manipulations de l’histoire nationale belge n’en sont que plus graves, même si leur contenu en fut souvent adapté, à l’évolution de la société, et/ou au groupe social considéré.  En 1995, Les grands Mythes de l’Histoire de Belgique (sous la direction d’Anne Morelli, chargée de cours à l’Université Libre de Bruxelles) consacre un chapitre aux anciens Belges et pourfend un certain nombre de ces mythes idéologiques.

    De même , les auteurs font un parallèle très intéressant avec la colonisation des territoires américains.  «  Les tribus, toujours diabolisées, trahies par leurs frères de race, conquises dans le sang et mythifiée pour ne pas dire statufiées en modèles de bravoure et vertu guerrière : le courage des massacrés dédouanant les conquérants du sang versé… les indigènes sont ainsi brutalement vidés de leur identité et jetés dans le fleuve de l’histoire avec une sauvagerie que l’on connaît bien. »

    Aujourd’hui beaucoup de scientifiques se démarquent de ces anciens discours de vulgarisation. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Il y eut des associations, tant en France qu’en Belgique, qui les cautionnèrent jusqu’au début du XX° siècle. Comme le rappelle Venceslas Kruta, « L’archéologie façonne ainsi peu à peu une nouvelle image, riche de révélations, et de détails, de l’ancien peuplement celtique. On ne peut qu’admirer le travail accompli et congratuler ceux qui en furent les artisans. »
 

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