D'après Mythes et mythologies, histoire et dictionnaire, Félix Guirand et Joël Schmidt, Larousse, coll. In extenso.

        Les origines même de l'Irlande sont relatées dans le livre des conquètes, le Lebor Gabala, qui entremêle des réminiscences probables d'histoire réelle à la mythologie celtique évhémérisée et christianisée par des apports déformants successifs. Il s'est peu à peu complété et précisé jusqu'au XVIe siècle.


 
Nuada "main d'argent"
Le Dagda
Lug


         

Fomoiré, dessin Didier Guiserix

D'après les chroniqueurs chrétiens, tous ces évenements se déroulèrent à peu près à l'époque de la guerre de Troie. Après le grand déluge, l'île qui deviendra l'Irlande fut d'abord habitée par la reine magicienne Cessair et ses suivantes (certains y voient une incarnation de Circé). Elle périt avec toute sa race.    

Vers 2600 avant J.C., la tribu des "fils de Nemred", originaire de Scythie, avait pris pied dans l'île.Vers 2460, le prince Partholon, arrivant de Grèce semble-t-il, débarque en Irlande avec vingt-quatre couples. D'abord plaine unique trouée de trois lacs, Partholon agrandit l'Irlande, qui compte désormais quatre plaines avec sept nouveaux lacs. Ses compagnons se multiplient et sont cinq mille au bout de trois cents ans. Mais une épidémie les anéantit tous, le 1e mai tricentenaire de leur arrivée. Leur sépulture commune serait la colline de Tallaght, près de Dublin.

        Un autre groupe d'envahisseurs débarque vers 2400. Les Hommes Bolg en forment la masse principale. Enfin, venant des " îles au nord du monde" ou ils étudiaient la magie, arrivent les membres de la Thuatha Dé Dannan qui sont de race divine. Ils apportent leurs talismans : le glaive de Nuada, la lance de Lug, le chaudron du Dagda, et la "pierre du destin" de Fâl, qui crie lorsque s'assied sur elle le successeur légitime de l'Irlande.

       

Thuatha Dé Danann, dessin Didier Guiserix

Ces envahisseurs successifs ont du combattre tour à tour la race des géants qui peuplaient au début l'Irlande. Certains sont corps sans bras ni jambes ; d'autres sont pourvus de têtes d'animaux, en majeure partie de chèvres. Ces géants s'appellent Fomoiré (de fomor : sous la mer) menés par leur chef, le cyclope Balor ; ils descendent d'une certaine divinité : Domnu (l'abîme). Une lutte s'engage entre les Thuatha Dé Danann et les Fomoiré. Le récit de ces combats, figurant dans un manuscrit du XVe, constitue le morceau le plus important du cycle de l'épopée gaélique.

Une première bataille se livre à Moytura (Mag Thuireadh : la plaine des piliers, c'est à dire des pierres levées), livrée près de Cong, dans le comté actuel de Mayo. Les Thuatha Dé Danann en sortent vainqueurs. Cependant, au cours de la bataille, leur roi Nuada perd la main droite. Cette mutilation entraîne sa déchéance du pouvoir souverain. Une main en argent articulée est alors forgée et adaptée par l'habile guérisseur Diancecht.

       Contraint par les circonstances de se démettre, Nuada "à la main d'argent" est remplacé par Bress, fils du Fomoiré Elatha et de la Dé Danann Eriu (déesse éponyme de l'Irlande). Les deux races ennemies s'allient par le mariage. Bress épouse Brigit, fille du Dagda, tandis que Cian, fils de Diancecht, épouse Ethniu, fille de Balor "au mauvais oeil".  Mais Bress est un odieux tyran. Il accable le pays d'impôts et de corvées. Il raille Caïbré, fils d'Ogmé, le plus grand file (barde) des Dé Danann. Bress est alors contraint à son tour d'abdiquer ! C'est Nuada qui remonte sur le trône, et il le peut car sa main naturelle et coupée a été rattachée à son poignet grâce à l'habileté et aux incantations de Miach, fils de Diancecht. Cela vaut à Miach d'être assassiné par son père jaloux.

 

Goïbniu, le dieu forgeron irlandais était un artisan et un armurier exceptionnel. Il répara, sur les champs de bataille, les armures des Thuatha Dé Danann à une vitesse miraculeuse (illustration anonyme)

Bress, cependant, tient un conseil secret dans sa demeure sous-marine. Il persuade les Fomoiré de l'aider à chasser d'Irlande les Dé Danann. Les préparatifs de la guerre durent sept ans. Années durant lesquelles grandit Lug, l'enfant prodigieux, "maitre de tous les arts", né de l'union de Cian et d'Ethniu. Lug organise la résistance des Dé Danann, tandis que Goïbniu leur forge des armes et que Diancecht fait jaillir une source merveilleuse qui guérit les blessures et ranime les morts. Mais des espions Fomoiré la découvrent et la rendent inefficace en la comblant de pierres maudites. Après quelques duels et escarmouches isolés, une grande bataille s'engage dans la plaine de la Moytura du Nord (plaine de Carrowmore, près de Sligo, ou se trouve le plus imposant groupe de pierres levées d'Europe, après celui de Carnac).

C'est la seconde bataille de Mag Thuireadh. Au cours d'une lutte acharnée, de nombreux guerriers sont défaits : Indech, le fils de la déesse Domnu, est tué par Ogmé, qui succombe à son tour. Balor "au mauvais oeil" frappe Nuada de son regard fatal. Mais Lug, de sa fronde magique crève l'oeil de Balor. Réduits et démoralisés, les Fomoiré reculent et sont repoussés à la mer. Bress est fait prisonnier et l'hégémonie des géants est à jamais brisée dans l'île. Après la victoire, cependant, la puissance des Thuatha Dé Danann va connaître un déclin rapide. Deux déités de l'empire des morts, Bilé et Ith, débarquent à l'embouchure de la Kenmare, et interviennent dans les conseils politiques des vainqueurs.

 

Les cavaliers de la sidhe, John Duncan, toile a tempera, 1911. La "Sidhe" (shee) chevauche Beltaine pour féter l'arrivée de l'été.
Duncan disait entendre de la "musique  féérique" quand il peignait

Milé, fils de Bilé, rejoint son père en Irlande, accompagné de ses huits fils et de leur suite : c'est la tribu des "Milésiens". Comme les précédents envahisseurs ou immigrants, ils arrivent le 1e mai. En faisant marche vers Tara, ils rencontrent successivement trois déesses éponymes : Banba, Fotla, et Eriu. Chacune demande au druide Amergin, conseiller-devin de Milé, de nommer l'île d'après elle. L'île est restée nommée Erinn parce qu'Eriu fit sa demande la dernière.

        Après de nouveaux et sanglants combats, dans le dernier desquels intervient Manannan, fils de Lîr (Dieu de l'océan), les trois rois des Dé Danann sont occis par les trois fils survivants de Milé. Un pacte de paix est conclu, les Thuatha Dé Danann cèdent l'île d'Erinn et se retirent au pays d'Au delà, ou se réfugient sous les tertres, n'exigeant qu'en compensation qu'un culte et des sacrifices célébrés à leur souvenir. C'est ainsi que débuta la religion en Irlande.

 

La fée du folkore irlandais, la banshee n'est autre que la déesse du livre des conquêtes (dessin Didier Guiserix)

Abandonnant la surface de l'île d'Erinn, certains des Thuatha Dé Danann se sont retirés dans une contrée lointaine, "Au Delà" des mers d'occident, nommée Mag Meld (la plaine de la joie) ou Tir na nog (terre de la jeunesse). Là les siècles sont des minutes ; ceux qui y habitent ne vieillissent plus ; les prés sont couverts de fleurs éternelles ; de l'hydromel emplit le lit des fleuves. Festins et batailles sont les passe-temps favoris : les guerriers mangent et boivent mets et breuvages féeriques ; ils ont pour compagnes des femmes d'une beauté ravissante. Le restant des Dé danann trouva une retraite dans de magnifiques demeures souterraines, que des monticules signalent aux regards des humains.      

A ces habitations nouvelles, les Dé Danann, désormais invisibles, ont par la suite emprunté leur nom : aes sidhe (gens des tertres). Et c'est de cette appellation, abregée en sidhe ou shee, que le peuple irlandais continue de nommer le peuple invisible des fées : la ban shee (littéralement : femme du tertre) des croyances populaires, dont l'apparition est parfois présage de mort, n'est que la déesse déchue des anciens celtes popularisée par la tradition.

        Dans les contes suivants de la myhtologie irlandaise, comme le cycle d'Ulster, les sidhes se manifestent aux vivants dans la réalité concrète et dans les rèves. Elles se montrent ou disparaissent sans qu'on puisse savoir d'ou elles viennent ni ou elles retournent. Elles peuvent se rendre invisibles ou interviennent dans les actions des hommes. Dans le cycle des Fenians, elles sont en relations constantes avec les chefs et les guerriers ; elles participent à leurs banquets, prennent part à leurs jeux et combattent même à leurs cotés, armées de boucliers bleus et de lances bleuâtres.

        Et de nos jours encore, elles continuent d'exciter l'imagination des hommes...