Les informations contenues dans cette partie sont principalement extraites de l'ouvrage les Musiques celtiques, de Emmanuelle Debaussart (éd. Librio musique, Paris 1999), ainsi que d'un livre-disque publié en 1996 pour les 25 ans du festival interceltique de Lorient, Temps interceltiques (éditions du Layeur), ouvrage qui retrace les principales étapes du renouveau de la musique celtique en France. Il est accompagné d'un CD regroupant des artistes représentatifs des genres présent au festival, de Stivell à Iron horse, en passant par Carlos Nunez et Matto Congrio, the Chieftains, les choeurs gallois ...

  Qu'est ce que la musique celtique ?

Musique celtique et musiques celtiques
        Lorsque vous flanez entre les gondoles de votre disquaire, vous ne pouvez de nos jours manquer de tomber sur le rayon "celtique", indiquant ainsi tout de suite à vos sens à l'affut ou rechercher de la bonne musique. En y piochant un peu, vous trouverez du breton et de l'irlandais notamment, de l'écossais aussi, et à titre accessoire du gallois ou du cornique. Certains festivals bien connus, que nous nommerons pas pour ne pas ajouter à la montagne de publicité qui leur est déja faite par d'autres, mais pas par nous, se chargent de répandre toutes ces pièces magnifiques.
       
A y regarder de près et à bien les écouter, pourtant, il y a souvent peu de caractéristiques vraiment communes à tous ces styles musicaux. En fait, le qualificatif de "celtique" ne désigne pas vraiment un style propre, mais l'ensemble des musiques jouées dans les pays d'influence ou d'origine celtique. Desi Wikinson, un musicien irlandais du groupe Westwind déclare ainsi sans inhibitions qu'il voit plus de points communs entre les musiques irlandaise et scandinave qu'avec la musique bretonne. Et pour cause : si irlandais et bretons ont des ancètres communs, ceux ci remontent à plus de 2000 ans. Alors que les premiers ont tout de même du assimiler voilà encore moins de 1000 ans de nombreuses vagues d'invasions vikings. CQFD !

A l'intérieur d'un même pays, en outre, les styles sont nombreux. La Bretagne, par exemple, dont la langue n'est pas unifiée (l'ouest parle le Breton, et l'est le Gallo, dialecte roman), compte autant de rythmes, de danses, de costumes qu'il y a de bro (pays, correspondant à peu près aux évéchés).
      

Au final, on en vient à la conclusion qu'il vaut mieux parler de musiques celtiques, pour rendre compte de cette variété. Qui plus est, les reflexes culturels de chaque pays ne sont pas les mêmes. En France, "celtique" est associé à Bretagne, alors qu'au Royaume uni, et de manière générale dans le reste du monde, on pense à l'Irlande, dont l'influence est prépondérante. Même la musique estampillée "galloise" est de nos jours largement inspirée des traditions irlandaises. Par exemple, la harpe, instrument favori du répertoire gallois, est empruntée aux cousins de l'île d'en face. En Ecosse, le constat est en partie le même, car si une musique de tradition purement écossaise a survécu en milieu rural, en milieu urbain les rythmes irlandais ont "phagocyté" le mouvement musical écossais dans les années soixante. La musique de pub est donc de nos jours largement la même à Glasgow, à Dublin, à Londres, et à New York. Dans le monde entier, de nombreux groupes, formations ou artistes divers, pensant faire de la musique "celtique", font en fait de la musique irlandaise.

 

Qu'est ce que la musique celtique ?     

Alan Stivell

Alors, qu'est ce qu'une musique celtique ? Ou commence le celtique en matière musicale ? Dans le biniou, ou dans le rythme ?  Dans la voix, ou dans le costume du sonneur ? Difficile à dire, mais Alan Stivell avance quelques explications, parfois peu accessibles aux profanes, mais très pertinentes : " ce qui fait la particularité de la musique celtique, ce n'est pas seulement un aspect, mais l'addition de plusieurs choses. La musique celtique hésite souvent entre le pentatonique et le diatonique, mais il semble que les celtes aiment davantage la gamme pentatonique que les autres peuples d'Europe.

Il y a également quelquechose de bien particulier dans l'interprétation. Le schéma de base d'une mélodie, le rythme et la métrique sont souvent assez simples mais l'interprétation est hyper complexe. Ce qui est très celtique, c'est le fait que ça se balade dans l'interprétation d'une manière cyclique, que ça se croise de phrase en phrase. Il y a aussi une instabilité entre le binaire et la ternaire : ce n'est jamais complètement l'un, jamais complètement l'autre, ça se balade entre les deux. Ce mouvement crée une espèce de swing bien particulier que l'on va retrouver aussi bien en Ecosse ou en Irlande. Je crois également en une sorte de permanence esthétique. Ce qui est intéressant quand on essaie de comprendre ce qu'est la culture celtique, ce n'est pas de savoir d'ou viennent les instruments mais d'essayer de comprendre comment les celtes les ont transformé dans leur esthétique. Par exemple, lorsqu'il a été possible de choisir entre les cordes de boyau ou les cordes métalliques pour jouer de la harpe, les anglais ont continué à utiliser les premières alors que les Ecossais se sont jetés sur les cordes métalliques.

De la même manière, une cornemuse écossaise a un son timbré dans les harmoniques aigus, beaucoup plus qu'une cornemuse du sud de l'Europe. Même avec une guitare éléctrique, le nord-ouest de l'Europe semble privilégier les sons aigus. On pourrait même aller plus loin en étudiant par exemple l'influence de l'humidité sur la transformation du timbre des instruments ! L'environnement influence forcément la sensibilité et notre conception esthétique. Or les Celtes, outre la langue, ont en commun de vivre sur une terre semblable en bien des points, sous un même climat, avec une même géologie."

Au delà du style, un certain nombre de sons unissent aussi le mouvement celte : les instruments sont souvent communs, sous une forme ou sous une autre, à tous les pays celtes, à commencer par la célèbrissime cornemuse. Ces instruments, cependant, sont rarement spécifiquement celtes : ils existent tous sous une forme ou sous une autre dans les différents folklores européens. Quoi qu'il en soit, les celtes ont souvent donné à ces instruments un usage et un aspect propre, qui les démarquent du reste de l'Europe. Cliquez ici pour découvrir les principaux instruments de la musique celtique.


        En outre, de nos jours, au delà des particularismes locaux, un certain nombre d'artistes, au premier rang desquels Stivell se trouve, ont développé un répertoire unique, qui mèle maintenant les influences en provenance de tous les pays celtes. Stivell, en juxtaposant des airs différents dans ce qu'ils ont de commun, modernes et traditionnels, celtiques ou pas, a contribué - avec d'autres - à la création d'une musique celtique, identifiable comme telle. De toute façon, que l'air soit irlandais, breton, gallois, écossais, cornique, ou manx, peu importe, de toute façon. Tant qu'on s'amuse !...

 

Histoire d'un renouveau

La redécouverte de l'héritage bardique et le romantisme au XIXe siècle

        On a déjà parlé de l'importance de la tradition artistique dans les cultures celtiques. Poésie et musique sont les grandes héritières de la fonction bardique, qui contrairement à la fonction théologique du druidisme, n'a jamais complètement disparu : Les cours des nobles d'Ecosse, notamment, mais pas uniquement, maintinrent jusqu'au XVIIIe siècle à leur service des musiciens et compositeurs dont la fonction recouvrait peu ou prou celle des bardes antiques. Les écoles bardiques - ou leurs successeurs -  et la tradition populaire, vivace dans tous les pays celtes, perpétuèrent avec un très grand succès et une très grande application les mélodies les plus anciennes. La musique est le témoignage le plus vivant qui nous reste de l'époque celtique.


        Aux XIXe et XXe siècles, cependant, comme un peu partout dans les terroirs d'Europe, sous l'influence d'une certaine modernisation et de l'exode rural, cette tradition riche et variée ne fut pas très loin de disparaître, ou en tout cas de se voir sérieusement détériorée par l'oubli, en Bretagne peut-être plus encore qu'en Ecosse ou en Irlande. La catastrophe, qu'il serait excessif de dire qu'elle fut frolée de peu, mais qui restait possible, fut dans tous les cas évitée grâce à l'énergie d'hommes et de femmes, qui contribuèrent à ce qu'il convient de nommer le renouveau de la musique celtique

L'histoire de ce renouveau commence à la fin du XVIIIe siècle, lorsque la vague du romantisme, succédant au rationalisme - parfois excessif - des lumières, commença à déferler sur la vieille Europe. Cette fin de siècle redécouvre la musique et les traditions populaires de ses terroirs.

       
Ossian reçoit les mânes des héros morts pour la patrie, huile sur toile, Girodet, 1801. Cette oeuvre, executée sous le consulat, héroïse Bonaparte en le faisant entrer de son vivant dans la légende des gloires du passé. Même les bardes écossais  pouvaient servir à la propagande...

L'Ecosse, en premier lieu, prend conscience de la richesse de son patrimoine culturel, grâce à James MacPherson, qui publie en 1760 un recueil basé sur des "fragments de poésies anciennes recueillies dans les montagnes d'Ecosse" qu'il attribue à Ossian, un barde du début de notre ère. En fait, ce travail présenté comme une collecte est largement issu de l'imagination de MacPherson. Mais le résultat n'en est en rien changé, puisque l'Europe s'enthousiasme alors pour la poésie celtique, et celle d'Ossian en particulier (voir photo ci contre).

        Quelques décennies plus tard, au tournant du XIXe, c'est Chateaubriand, en Bretagne, qui s'enflamme à son tour pour les oeuvres de Macpherson. Son rôle sera par la suite déterminant dans la renaissance du mouvement culturel breton. Anatole Le Braz écrit en 1918 à ce propos : "le romantisme, qui a transporté dans le domaine poétique l'oeuvre d'affranchissement inauguré par la Révolution dans le domaine social, est directement issu de Chateaubriand. (...) Sans lui, du propre avoeu de la Villemarqué, nous n'aurions pas eu le Barzaz Breiz et sans le Barzaz Breiz, qui rendit à notre vieil idiome, avec la démonstration de ses ressources, le sentiment de sa dignité, essayez de vous imaginer quels seraient encore les tâtonnements de nos bardes !"

Le Barzaz Breiz (Barzazh Breizh en breton moderne) dont il est question ici est d'ailleurs en France le meilleur exemple de l'exceptionnel travail qui fut accompli lors de la renaissance romantique par les poètes et les artistes divers. Il s'agit en fait d'un recueil d'une cinquantaine de chants collectés par le jeune Théodore Hersart de la Villemarqué (il était agé de 24 ans lorsqu'il accomplit cette tâche). Certains de ces chants, très anciens, remontent au moyen-âge. De manière générale, cette oeuvre fondamentale reste une des base du patrimoine musical chanté breton. Lorsque ce recueil est publié, en 1839, le romantisme est à son apogée, et engendre une longue série de nouvelles vocations chez les intellectuels bretons.

        Le Barzaz Breiz n'est d'ailleurs pas le seul recueil de musique celtique publié à cette époque en Europe, au contraire, puisque dès la fin du XVIIIe en Irlande, Edward Bunting entreprend de recueillir les meilleurs morceaux des harpistes de son pays. Au XIXe, James Joyce lui même publie un recueil, Ancient Irish music, en 1873.

        Tous ces recueils contribuèrent, avec le développement des sciences historiques, à la redécouverte du peuple celte et de ses traditions, entrainant la création de nombreuses manifestations folklorique, qui furent parfois pan-celtes dès le XIXe siècle. Comme quoi, les interceltiques de Lorient n'ont pas tout inventé.
 

Boire et déboires au cours du XXe siècle

        Cependant, malgré tous ces succès, le cercle des amateurs du celtisme et des musiques traditionelles reste relativement restreint, jusqu'à la fin du XXe. En fait, leur succès produit principalement ses effets sur le sol breton, ou dans les limites des pays celtes des îles britanniques. Ce n'est déjà pas si mal, puisque cela permet à un peuple tout entier de redécouvrir son passé, ses traditions, et la richesse de sa culture musicale. Mais quoi qu'il en soit, le mouvement romantique du XIXe n'a rien d'un phénomène de masse : la culture bretonne reste confinée en Bretagne. Quant aux cultures écossaise, galloise, et surtout irlandaise, elles restent quand même écrasées sous la botte anglaise. En outre, l'arrivée du XXe siècle, de ses guerres, de ses crises, de ses luttes politiques et de ses mouvements de masses, contribue à fermer un peu plus le couvercle. Jusqu'à la fin des années soixante, hors de question de parler de musique bretonne à Paris sans passer pour le dernier des ploucs. La culture "officielle" répand sa tyrannie, et broie toutes les tentatives un peu alternatives.

        En outre, la deuxième guerre porte préjudice dans l'opinion publique française aux mouvements celtes ; d'une part en raison de la neutralité de l'Irlande dans ce conflit, neutralité compréhensible, car sortant de plusieurs guerres civiles, et toujours victime de la dépopulation issue de la famine du XIXe, l'Irlande ne pouvait se permettre de se lancer dans une nouvelle aventure guerrière ou elle n'avait aucun intérêt vital ; d'autre part en raison d'une certaine assimilation entre mouvement autonomiste breton et collaboration avec les troupes d'occupation. Cette assimilation, bien que reposant sur des faits réels (une partie du mouvement indépendantiste contribua effectivement à "l'amitié germano-bretonne", espérant ainsi pour la Bretagne une indépendance - bien illusoire - sous la protection de Berlin), fut très largement exagérée par l'opinion française, cette midinette versatile, plus prompte à voir la paille dans l'oeil du voisin... En outre, cette opinion occultait largement la réalité historique de la résistance bretonne à l'envahisseur, y compris de la part des autonomistes : la Bretagne a résisté autant, voire plus que le reste de la France. L'île de Sein en son entier fut ainsi faite compagnon de la libération : après l'appel du 18 juin, quasiment tous les marins-pécheurs de l'île s'embarquèrent pour Londres avec leurs bateaux. Dans les effectifs de la France libre, à la fin juin 40, un homme sur quatre venait de l'île de Sein. Cela fit d'ailleurs dire à De Gaulle (imaginez l'accent du bonhomme avant de lire cette phrase) : "Alors quoi ! L'île de Sein est donc le quart de la France ?!?"

        Le mouvement culturel breton sortit donc exsangue de la guerre, et mit un certain temps à s'en remettre. Mais il fut des hommes pour ne pas baisser les bras, et pour relancer immédiatement un certain nombre d'initiatives.
 

       L'explosion "folk" de la fin du XXe

L'affiche de 1971. A l'époque, il ne s'agit que d'un festival de cornemuses

On date traditionnellement le renouveau de la musique celtique au début des années soixante-dix. Il ne faut cependant pas négliger le travail effectué en amont par de nombreux mouvements musicaux, dès la fin des années quarante, et même avant, pour préserver les savoir-faire musicaux (il ne reste à cette époque que soixante sonneurs de cornemuse, et leur moyenne d'âge dépasse soixante-dix ans), pour retranscrire les mélodies, chants, et danses populaires.

       En 1946, le B.A.S. (Bodadeg Ar Sonerion), mouvement de rassemblement des sonneurs et bagadou, est créé. Il est le premier du genre, et il entraîne avec lui la création de très nombreuses formations de musique traditionelle et populaire celte. La vocation fédérative du BAS dépasse rapidement les frontières de la Bretagne, et des liens sont rapidement tissés avec des formations irlandaises, écossaises, galloises ...

        Au cours des vingt cinq années suivantes, la reconstitution du mouvement musical celte suit son chemin, bon an, mal an. Grâce au BAS - et à d'autres, dans tous les pays celtes -, et ce sont des milliers d'airs et de mélodies qui sont sauvées de l'oubli. Il est probable que sans l'accomplissement de cette tâche, rien n'eut jamais été possible, et que la richesse de la tradition musicale celte, héritière de la tradition bardique, aurait sans doute en grande partie disparu.

1971 est une année clé, car c'est durant celle-ci que se produisent deux évènements majeurs pour le mouvement celtique. En premier lieu, Alan Stivell revient vainqueur du concours de chant "Celtavision", organisé à Killarney, en République d'Irlande. Pour Stivell, ce n'est pas le début d'une carrière, car il a déjà de nombreux disques au compteur. Mais c'est par cette performance qu'il se révèle au grand public. Le fait est d'importance, quand on sait le rôle fondamental qui sera le sien dans les années suivantes pour répandre cette culture et cette musique celte, notamment à la harpe, qui l'ont bercé toute son enfance. Cette maîtrise absolue de la harpe  trouve son aboutissement dans un album qui sort quelques années plus tard, Rennaissance de la harpe celtique, album dont la beauté, la variété et la subtilité des mélodies et des rythmes n'a à mon gout jamais été égalé par personnes depuis, y compris par Stivell lui même.

1972, le premier "interceltique"

Deuxième fait marquant : est organisé cet été là le premier festival des cornemuses de Lorient, qui deviendra rapidement le festival que l'on connait bien. L'acteur de premier plan n'en est autre que le BAS. Dès 1972, le festival de cornemuse évolue vers les rencontres interceltiques, formule facilitée par les nombreux contacts d'ore et déjà liés par le BAS avec les formations et les organisations insulaires.

        En outre, les années soixante-dix voient de manière plus générale l'émergence d'un grand nombre de groupes de musique d'inspiration folklorique, sous l'impulsion d'une jeunesse à la recherche d'expérimentations musicales les plus diverses. Au sein de ce mouvement, la musique celtique se taille la part du lion, bien qu'il ne faille pas oublier des groupes d'inspiration plus "française", comme Malicorne, ou les formations d'inspiration provençale. Cet essort de la musique folklorique fait rapidement sortir les musiciens bretons, et celtes plus généralement, hors des limites de la Bretagne et des cercles d'amateurs. Servat arrive de ses Pyrennées natales, Tri Yann se développe rapidement, et dès 1972, surtout, Stivell triomphe à l'Olympia ; sa popularité, alors, n'ira qu'en s'accroissant.

10 ans plus tard, "l'interceltique des cornemuses" est devenu "l'interceltique de Lorient"

Jusqu'au début des années 80, à tout le moins. Car l'apparition de cette décennie et de la "fric-génération" délaisse les formes d'expression musicale alternatives et novatrices des seventies pour se tourner vers le nouveau Veau d'or, la Carthage d'outre atlantique : l'heure est à l'américanolatrie, dans tous les domaines. En matière musicale, ce sera pour le meilleur, parfois, mais aussi pour le pire, un peu plus souvent.

        Mais durant ce temps, si le mouvement celtique "rembarque" pour la Bretagne, il ne disparaît pas pour autant, bien au contraire. Les années soixante-dix ont amorcé une pompe que rien ne peut tarir, car les nouvelles vocations se révèlent par dizaines. Lorsque sonne l'heure du retour, au début des années quatre-vingt dix, le style a gagné en maturité, et aux Stivell, Servat, Tri Yann, il faut ajouter les nombreux musiciens des îles britanniques, dont le nombre ne fera que croître, et la légion de la nouvelle génération bretonne. Il ne fallait donc y voir qu'une pause.

       Qui plus est, durant tout ce temps, le festival interceltique, cheminant cahin-caha, d'abord dans le silence des médias, puis dans un certain mépris de l'aristocratie culturelle, fini par devenir le plus grand des festivals de promotion de la culture celtique. Depuis maintenant quelques années, son ampleur est telle qu'il suscite la ferveur des médias : il draine chaque année plus de 450000 chalands. C'est le plus grand festival culturel de l'hexagone, et il s'annonce maintenant à grands renforts de "4 par 3" sur les murs des villes de France et de Navarre.

Musique et politique      

Les années 90 renouent avec le succès. On en juge aux logotypes  des sponsors : ils veulent tous y être !

Il est en outre un aspect de la musique celtique, bretonne et irlandaise plus particulièrement, qu'il ne faut en aucun cas négliger. C'est cet aspect qui contribua - entre autres - à l'expansion de ce mouvement au cours des seventies : la revendication politique. Les années soixante dix assistent à l'explosion - numériquement et socialement parlant - des mouvements politiques de rupture, après la bouffée d'air de 68. La jeunesse française dans son ensemble, y compris bretonne, commence à prendre conscience des enjeux et de la réalité de la domination sociale, économique et politique, et cherche par tous les moyens à développer son message et sa propre position. Trotskystes, Maoïstes, libertaires, on n'avait que l'embarras du choix de la chapelle.

        Dans les pays d'héritage celtique, le mouvement autonomiste breton, et avec lui la reprise du conflit en Irlande du nord, soulignent chacun à leur manière l'appel au secours d'une société qui ne veut pas mourir. Chacun à leur manière, évidemment. En Irlande du nord, face à une société d'appartheid institutionnalisée, et à une séparation nationale insupportable, la réponse ne peut aboutir que dans la violence. La Bretagne n'a pas eu à subir cette situation, mais il subsiste toujours à l'égard des bretons le regard parisien d'une société de "ploucs". En reprenant et en exprimant l'héritage celtique, le renouveau de la musique celtique s'est fait d'une manière ou d'une autre le héraut des valeurs politiques de l'autonomisme, sans pour autant se faire le porte parole officiel de celui-ci. Cela est particulièrement vrai chez des chanteurs comme Servat (comme dans la Blanche Hermine), et dans une moindre mesure dans une formation plus consensuelle comme Tri Yann. Chez eux aussi, l'identité bretonne est clairement affirmée (voir la Découverte et l'ignorance). Glenmor, chanteur anarchisant et vaguement mystique, proche de Brel et de Brassens, signe même dans les années 60 l'hymne de l'A.R.B., Kan Bale an A.R.B.

Au final, ça fait bien du monde, tout ça !

Actuellement, il est difficile de dresser un annuaire complet des auteurs, interprètes, groupes, bagad, rien qu'en Bretagne. Et si l'on veut y rajouter les artistes insulaires, inombrables en Irlande, la tâche devient impossible. La création est importante, variée, inventive, multiculturelle, et trouve maintenant sa place dans les médias nationaux. Le succès de quelques albums, comme Dan Ar Braz et l'Héritage des celtes, dont une version live à Bercy a été diffusée sur TF1 en 1999, ont assuré une très grande diffusion de l'éventail des musiques celtiques (cliquez ici pour découvrir quelques artistes peu connus, ou d'autres trop connus et qui mériteraient probablement de l'être moins). Malheureusement, comme dans de nombreux cas, les auteurs qui retiennent le plus l'attention des médias ne sont pas forcément les plus inventifs, et sans vouloir absolument trainer Dann Ar Braz sur la claie, reconnaissons tout de même que ses albums s'enchaînent depuis son premier du genre un peu systématiquement sur le même registre. Si ce premier Héritage des celtes était bel et bien une réussite, il est un peu dommage de recommencer le même encore et encore uniquement pour sacrifier au démon audimat. 

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