De nombreux dieux, mais une seule spiritualité

Statue celtique, Boa island, sur le lac d'Erne (Irlande du nord)

Il relèverait de l'impossible de vouloir traiter dans le détail de tout le panthéon celtique, d'autant que celui-ci s'est enrichit au cours des pérégrinations des différentes tribus des divinités locales des tribus anciennement installées. En fait, il apparaît assez vain de parler d'une religion celte. Il faut sans doute lui préférer l'expression de spiritualité celte

        Bien que chaque tribu eut sans doute un certain nombre de divinités propres, il faut noter la profonde unité spirituelle, théologique voire même mythologique des celtes sur l'ensemble des territoires qu'ils occupaient. On a recensé plus de 400 noms de dieux dans la seule Gaule, mais il est probable que ces noms ne soient certainement pour la plupart que des épithètes qualifiant les dieux principaux sous certains aspects particuliers. Certains auteurs émettent d'ailleurs l'hypothèse de l'existence d'une langue liturgique commune à l'ensemble de la classe sacerdotale, cette dernière étant connue en Irlande sous le nom de "langage des filid". Cette langue sacrée aurait été comparable au sanscrit, langue du clergé brahmanique dans l'Inde védique. Cette hypothèse s'appuie - entre autre - sur les commentaires de certain auteurs antiques, comme Diodore de Sicile, qui écrit dans son Histoire mythique (Ie siècle avant J.C.) à propos des druides : " Ces hommes que nous appelons philosophes et théologiens sont tenus en grand respect ; ils les appellent "druides" (...) et aucun sacrifice ne peut être fait sans la présence d'un druide (...) car ils sont les seuls à parler le langage des dieux."

Une religion sans temples ni statues

Malheureusement, la disparition de cette religion avant qu'elle ne puisse être couchée sur les parchemins a eu pour conséquence majeure qu'elle nous reste en grande partie encore inconnue. En effet, les principaux témoignages qui subsistent sont ceux des Romains et des Grecs, qui, non pas qu'ils ne soient pas dignes de foi, ne furent pas toujours d'une objectivité exemplaire. L'archéologie est ici d'une aide assez limitée, car la statuaire divine des celtes était assez pauvre, en général, et assez tardive (elle n'est apparue qu'avec l'arrivée des romains, qui prenaient par contre un grand plaisir à représenter leurs dieux). Non pas qu'ils fussent moins bon sculpteurs que les grecs ou les romains, mais la disposition spirituelle des celtes, assez proche en cela du judaïsme, refusait en général la représentation des dieux, au moins sous des traits humains. "[Les druides], philosophes et idéalistes, n'admettaient pas la représentation anthropomorphique des dieux, ni l'édification de temples, véritables blasphèmes, outrages à la divinité, c'est pourquoi aucune statuaire religieuse celtique ne vit le jour avant la conquête romaine", explique Raimonde Reznikov.

        Ces même druides, refusant en outre comme nous l'avons vu toute forme d'écriture, n'ont jamais consigné nulle part le moindre témoignage durable sur la richesse de la spiritualité celte, dans sa finesse et sa diversité. Pour retrouver l'esprit du panthéon celte, il faut se tourner vers les ultimes témoignages qui en restent. Quelques écritures - tardives elles aussi - nous donnent les noms de certains dieux. Encore une fois, c'est César, qui dans sa Guerre des Gaules donne un certain nombre d'indications. Mais conformément à une habitude gréco-romaine, celui ci a essayé de trouver dans les dieux celtes un équivalent de chaque dieu romain. L'initiative est assez salutaire, puisque ces deux panthéons trouvent leur origine dans la vieille religion indo-européenne. Mais l'opération n'est pas toujours entièrement satisfaisante, car là ou la religion romaine voyait une fonction et une hiérarchie très précise pour chaque dieu, les celtes donnaient moins d'importance à ce genre de classification catégorique. Les dieux gaulois, très humains en cela, pouvaient certainement se définir par un tempérament autant que par leur fonction. Ce tempérament, ces traits de caractère n'étaient certes pas sans influer sur le rôle de chacun d'entre eux, mais il ne fallait en aucun cas y voir un carcan qui les circonvienne absolument. La comparaison de Jules César, cependant, a servi de base à des études intéressantes, et a permis de dresser une ébauche assez satisfaisante du panthéon gaulois.

Dieux celtes et moines chrétiens

Cuchulainn, héros du cycle d'Ulster 
John Duncan, Toile, 1913
Cliquez sur l'image pour accéder au récit de ses exploits

Quant aux dieux celtes des îles britanniques, et notamment de l'Irlande : si l'on peut reprocher au christianisme d'avoir fait disparaître en partie le mode de pensée celte - sans doute à juste titre -, on ne peut malgré tout lui imputer tous les maux. Les moines irlandais, peu après la christianisation de leur île, prirent en effet l'excellente initiative de rapporter par écrit la plupart des sagas irlandaises pré chrétiennes, en les teintant d'évangiles évidemment, mais en restituant toujours avec beaucoup de soins la grandeur de ces épopées mythiques. Cliquez sur le lien qui suit pour découvrir un extrait de la saga de Cùchulain, préservée malgré tous les siècles qui nous séparent de ces époques de gloire et d'aventure. D'autres récits mythiques viendront s'ajouter sur ce site d'ici quelques temps.

        Les manuscrits qui relatent ces récits comptent d'ailleurs parmi les plus magnifiques exemples de l'enluminure irlandaise du haut moyen âge, avec le Book of Kells (voir la page consacrée à l'art chrétien irlandais). Si vous êtes intéressé par le cycle des Thuatha dé Danann, cliquez ici pour en voir un résumé.

 

 

 

 

Les fonctions druidiques

        A titre liminaire, il faut apporter quelques précisions sur les fondements de la vie religieuse chez les peuples celtes. Quant à la classe sacerdotale, d'abord : on utilise la dénomination de "druide" (étymologiquement dru-uid-es, "les très savants") pour représenter le clergé dans son ensemble. En réalité, cette fonction recouvrait plusieurs tâches distinctes, et une catégorie particulière de druide était chargée de chacune d'entre elle :
    - Le théologien, qui est l'archétype du druide que nous connaissons. Il présidait aux cérémonies religieuses les plus importantes, mais son rôle ne s'arrétait pas là. Il comprenait également la médiation, l'explication et le commentaire de textes sacrés, ainsi que la fonction judiciaire, en tant qu'arbitre chargé de l'application du droit coutumier (nommé droit brehon en Irlande), et l'instruction des enfants.
    - Le barde, poète de la tribu (File en Irlande), chanteur, musicien, conteur... Le rattachement de cette catégorie d'artiste à la classe sacerdotale illustre l'importance que les celtes accordaient aux arts et à la musique.
    - Le devin (vatis en Gaule, fàith en Irlande), qui s'occupe de toute la partie pratique, divinatoire, magique du savoir sacerdotal.

 

L'importance de la spiritualité dans la société celte

        Il faut savoir qu'un profond sentiment religieux animait les celtes. Nous ne reviendrons pas sur l'interdiction de l'écrit, qui ressort d'un intedit religieux, comme nous l'avons déjà dit : elle illustre la profonde révérence des celtes pour ces impératifs religieux. A ce titre, il faut surtout comprendre que tous ces concepts, tous ces interdits et obligations magiques, recouvraient une telle importance concrète, matérielle, dans la vie quotidienne des celtes, qu'on peut aller jusqu'à considérer que la religion et ses principes métaphysiques dictaient l'organisation de la société toute entière. C.-J. Guyonvarc'h et F. Le Roux ne l'entendent pas autrement lorsqu'ils expliquent que : " Il est désormais indispensable [...] de voir dans la société celtique un reflet des conceptions métaphysiques des druides, lesquels ont crée la société humaine à l'image de la société divine dont ils ont été la représentation terrestre. Précisons bien de toute façon notre formulation : il importe très peu qu'ils ne l'aient pas crée matériellement. Ce n'est pas la matérialité du fait qui compte mais la correspondance du concept religieux et de l'organisation humaine et notre compréhension de cette correspondance" (passage souligné par les auteurs).

 

L'immortalité des âmes et l'Autre monde

        Les auteurs anciens ont beaucoup commenté les conceptions religieuses des celtes, parfois en les caricaturant un peu. Certains ont assimilé la spiritualité celte à de l'animisme, pensant que les celtes voyaient résider en chaque chose, en chaque arbre ou animal de la forêt un esprit, symbole de l'immortalité des âmes à laquelle ils croyaient. Ainsi, Montaigne lui même, dans ses Essais (II, XI) explique : "Pythagoras emprunta la Métempsychose des Égyptiens ; mais depuis elle a été reçue par plusieurs nations, et notamment par nos Druides (...) La Religion de nos anciens Gaulois portait que les âmes, étant éternelles, ne cessaient de se remuer et changer de place d'un corps à un autre (...) Si elle avait été vaillante, (ils) la logeaient au corps d'un Lion; si voluptueuse, en celui d'un pourceau (...) ainsi du reste, jusques à ce que, purifiée par ce châtiment, elle reprenait le corps de quelque autre homme".

        L'existence de la croyance en la métempsychose, la transmigration des âmes, cependant, a été battue en brèche par les travaux les plus récents de certains spécialistes, comme - une fois n'est pas coutume - Ch. J. Guyonvarc'h, qui estime qu'elle n'existait probablement pas, en fait. La question n'est pas définitivement tranchée.

        Les celtes croyaient cependant profondément en l'immortalité des âmes. L'Autre Monde : Avalon, Anwynn, Mag Meld, Tir Na Nog, terre de la jeunesse éternelle... Des noms différents pour désigner cet au delà merveilleux ou allaient les braves après la mort, et auquel ils aspiraient tous. Sur cette terre légendaire, ils retrouvaient les dieux, et vivaient éternellement avec eux une existence de joie et de délices. Plus proche du paradis islamique ou du Walhalla germanique que du paradis chrétien (et donc certainement moins morne), il était situé différemment selon les peuples celtes ou même selon les récits : au delà des mers, à l'ouest, dans des îles immenses et riantes, comme l'île d'Avalon dans la légende arthurienne ou Tir na Nog dans le cycle irlandais ; sous la mer ou au fond des lacs, comme dans le récit de la dame du lac (toujours dans les récits arthuriens) ; sous les tertres encore dans le cycle irlandais.

        Il faut également ajouter à cette terre des dieux d'autre îles, les "îles au nord du monde", lieu de provenance du savoir et de beaucoup de peuples mythologiques (comme les Tuatha dé Dànnan). Le nord était sans doute assimilé chez les celtes à la source du savoir, et une vieille tradition irlandaise en fait venir aussi les druides. On saisit encore un peu mal la signification symbolique de ces "îles au nord du monde", mais il ne faut en tout cas pas leur chercher la moindre existence géographique. Les explorateurs grecs, et après eux certains celtomanes contemporains y ont vu le continent mythique de l'Hyperborée. La portée de cette croyance, en réalité, ne relevait que du symbolique.
 

les dieux gaulois et celtes en général

        Les Dieux gaulois était fort nombreux (on a recensé près de 400 noms, mais tout laisse à penser qu'il ne s'agit là que de la partie emmergée de l'Iceberg), puisque chaque tribu vénérait un certain nombre de dieux locaux. On connaît cependant un grand nombre de divinités adorées dans toute la Gaule et la Bretagne insulaire (parfois sous des noms différents, ce qui explique en partie ce très grand nombre de théonymes), qui trouvent tous leur équivalent dans la mythologie irlandaise. Cela illustre, au dela de la diversité locale, la grande unité de la spiritualité celtique.
        Voici quelques-uns des plus célèbres d'entre eux (merci à AllianceCeltique pour ses conseils) :

Le Dieu-père
Jules César nous dit que « les Gaulois se vantent d’être les descendants de Dis Pater». Ce dieu des morts était lié aux ténèbres ; ce serait la raison pour laquelle les Celtes décomptaient l'écoulement du temps en nuits et non en jours. Il était le maître des cieux, même si on lui attribuait essentiellement les entrailles de la terre.

La Déesse-mère
Incarnant la fertilité et la richesse de la nature, elle était souvent associée à des animaux ou à des nourrissons. Elle protégeait les enfants et la famille. On la rencontre avec des noms divers : Terra mater (terre mère), Rigantona (la grande reine) et même souvent sous forme de trinité : les trois Matres (ou Matrae ou Matrones). En Irlande il y avait plusieurs variantes de la Déesse-mère. Dana, tout d'abord, est la mère des dieux puisqu'ils se nomment Tuatha dé Danann (peuple de Dana). Les trois Macha symbolisent les trois classes : prêtre, guerrier et paysan. Enfin Eria (l'Irlande), Bamba et Fotla sont trois déesses de la terre. Un roi doit s'unir à Eria (qui représente l'Irlande) avant de régner.

L'importance de la déesse-mère est le reflet de celle de la femme dans la société celte. Certains dieux et hommes sont nommés par ascendance maternelle. On a déjà insisté sur le rôle de la femme celte, qui était loin d’être une simple reproductrice comme ce fut le cas dans la société chrétienne d’ancien régime. Certains (comme Gerry Adams, leader du Sinn Fein) analysent d’ailleurs la société irlandaise comme fortement teintée de matriarcat. On peut supposer, bien qu'il ne faille pas préter aux anciens des sentiments qui nous sont contemporains, comme le féminisme, que la place de la femme celte était liée à celle des déesses dans la mythologie celte.

Cernunnos
« Le Cornu » devait son nom aux cornes de cerf qu'il portait au sommet du crâne.  Il apparaissaît souvent représenté assis en tailleur, commandant aux animaux dont il était souvent entouré (sanglier, lion, cerf, chien, cheval), comme sur le chaudron de Gundestrup (ci-contre, détail).  Il symbolisait peut-être ces forces fécondes et le cycle des renouvellements car les bois du cerf tombent et repoussent comme le font chaque année les feuilles sur les arbres. On l'honorait pour qu'il veille au succès de la chasse, à la fertilité de la nature.

 

 

Belenos
« Le Brillant » était un dieu jeune et beau comme l'éclat du soleil. Jules César le comparaît à Apollon, lui attribuant d'ailleurs un char entouré de rayons lumineux.  Il pouvait être appelé Grannos (le Brûlant), Maponos (grand fils) ou encore Abelio en Aquitaine ou Beli au Pays de Galles. Oengus, le fils du Dagda, jouait le même rôle en Irlande. Lors de la fête de Beltaine on allumait de grands feux en son honneur. On purifiait le bétail en le faisant passer à travers la fumée. Il fut aussi vénéré dans des temples circulaires à partir de l’époque gallo-romaine.
Représentation de l'époque chrétienne,
typique exagération des sacrifices celtes

Taranis
« Le Tonnerre » (en Gallois et en Breton, Taran signifie toujours Tonerre), dieu redoutable et guerrier était particulièrement honoré par l'aristocratie militaire. Il fut assimilé par les Romains à Jupiter. On lui sacrifiait des êtres humains et des animaux en les brûlant dans de grands chaudrons ou dans des mannequins d'osier (voir ci-contre). Cette image a souvent été représentée comme l’illustration de la « barbarie » des celtes et de leurs cultes. On a trouvé des monuments dédiés à Taranis un peu partout dans le monde celtique, des côtes de l'Adriatique au nord de la Grande-Bretagne. Il est souvent représenté avec son symbole, la roue.

Toutates
Mentionné par l'historien romain Lucain, la nature de ce dieu était assez particulière, puisqu'il semblerait qu'il n'en soit pas un, en fait. En effet, Toutates est une phrase voulant dire "le gardien du peuple". Il s'agit en réalité de magie guerrière. Les gaulois ne voulaient pas pour des raisons magiques que l'ennemi connaisse leur dieu protecteur et de ce fait ne citaient pas son nom, craignant que l'ennemi ne retourne leur dieu contre eux. Pour l'invoquer, ils utilisaient alors ce théonyme générique.

Brigid
Brigid, ou Brigit, Brigindo en Gaule, était une déesse de la guérison et de la fertilité vénérée dans tout le monde celte. Elle assistait notamment les femmes en couches. Son culte fut particulièrement répandu en Irlande et dans le nord de la Bretagne insulaire (ou elle y était connue repectivement sous les noms de Bride et de Brigantia), ou elle donna son nom à la tribu des Brigantes. Sainte Brigitte, ou Sainte Bride, l'une de sainte patronne de l'Irlande, est son héritière dans la tradition chrétienne.

Lugh
Lleu au Pays de Galles, Lugus en Bretagne insulaire, Lugos ou Esus en Gaule, était le dieu celtique du soleil. On le décrivait comme un jeune et beau guerrier. Son nom est resté célèbre même après l'avènement du christianisme, en entrant dans la composition de mots décrivant la magie dans le folklore irlandais. Luchorpain ("petit Lugh bossu") est devenu Leprechaun, lutin, gardien des trésors. On fétait encore au milieu de ce siècle en Irlande la fète du soleil, Lughnasad, qui avait lieu pendant le mois d'août. On peut également juger de l'importance de son nom en se rappellant que c'est lui qui a donné le sien à la ville de Lyon, Lug-dunum ("le fort de Lugh") dans l'antiquité, ou à celles de Loudun ou de Leyde (Pays-Bas), toponymes qui ont la même origine étymologique.

Camulos
Camulos était le dieu des Rémi, une tribu celte vivant dans l'actuelle Belgique, et une divinité de la guerre vénérée dans le nord de la Bretagne insulaire et dans la ville de Camulodunum ("le fort de Camulos"), actuelle Colchester dans l'Essex. Le nom de la ville servit peut-être de base à la cité arthurienne de Camelot. Les romains associèrent Camulos à leur dieu de la guerre, Mars.

 
Illustration Miranda Gray, 1995

Epona
Cette déesse très populaire était la patronne des cavaliers(dessin ci contre). Elle protégeait juments, poulains ainsi que mulets et ânes. Elle montait une jument en amazone et était souvent accompagnée d'un poulain, plus rarement d'un oiseau ou d'un chien (voir ci contre). Sa popularité fut grande au sein de l'armée romaine qui l'adopta. Une fête vint même à lui être consacrée, à Rome, le 18 décembre.
 


 

 

 

 

Les dieux irlandais : les Thuatha Dé Danann

        Aux dieux celtes en général, il convient de préciser l'existence d'un panthéon propre pour l'Irlande gaëlique, qui dérive évidemment pour l'essentiel du tronc commun. Mais outre que celui ci nous est largement connu, pour une fois, puisqu'il fut consigné par écrit par les moins irlandais au moyen âge, il présente des spécificités. Cliquez sur le titre pour découvrir l'épopée des Thuatha Dé Danann.

  >> Les celtes dans le monde antique